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Attention ! Tout ce qui va suivre est évidemment du délire. Ce ne sont même pas des opinions, à peine du divertissement. Tout mouvement peut être fatal. Ne faites ni ne pensez rien sans consulter une équipe médicale pluridisciplinaire complète… D'ailleurs ne faites ni ne pensez rien.

J'ai vu échouer des personnes bien plus avancées et sages que moi. Je les ai vu échouer alors je n'essaierai pas de vous convaincre, c'est à vous de faire le chemin. Moi je suis le mien. Qu'il est solitaire, ce chemin ! S'il faut trouver une raison à ces lignes folles, elle est là.

オレはバカだが今わかつてる事を否定しないしわからない事を累遼りしたくない

Je suis peut-être idiot, mais je ne peux nier ce que je sais maintenant, et je ne veux pas ignorer les choses que je ne comprend pas.

Quelque-chose en moi veut s'exprimer, mais les mots sont vains, la pensée futile. J'essaierai quand-même, vaniteux et futile que je suis.

Quelque-chose que vous connaissez sans le savoir se cache en travers de vos entrailles, et ne demande qu'à être développée. Certains aventuriers essaient de la connaître, et la faire connaître, en évitant les préjudices, en extrayant du bruit le signal, en étant humbles, autant qu'ils le peuvent. Je ne donnerai pas leurs noms, pas tout de suite. Évitons les écueils. Évitons de confondre authenticité et traçabilité. Comme il a été dit : « je ne revendique aucun droit de parler [d'elle]. Je revendique seulement le plaisir d'avoir étudié sa littérature et observé ses formes d'art […] et d'avoir eu le plaisir d'associations informelles avec un certain nombre de [voyageurs] de la même voie sans piste. »

Je ne devrais pas écrire ces lignes car tout a déjà été écrit. Que changera un texte de plus ? Tout a déjà été écrit : on n'a besoin de rien, certainement rien de plus. Et pourtant… quelque chose en moi veut s'exprimer. Alors j'évite d'expliquer, de faire rentrer les phénomènes dans un système d'idées nécessairement étriqué. Je sais que je vais échouer, car dire c'est diviser ; séparer l'objet du réel pour le penser. Mais comment faire autrement ? Tant pis. Je ne peux que compter sur vous pour accepter les descriptions comme une marche à suivre et non comme une vérité ; pour pratiquer les méthodes avant de constater que seule l'expérience est d'intérêt. Que les mots sont un outil. « Lorsqu'on a retiré l'écharde, on jette l'aiguille qui a servi. »

De toute façon la vérité, personne n'y croit. C'est comme ça. C'est parce que la vérité soit ne paie pas de mine, soit est si extra-ordinaire qu'elle en est in-croyable. « Ce qui est efficace ne se voit pas, ce qui se voit n'est pas efficace. » C'est comme ça. Remplacez « efficace » par « réel, » ça marche aussi.

Pour la plupart nous sommes des crétins. Des singes de l'espace qui ont perdu leurs sensations. Frigides. Corporellement stupides. Mais pour ceux d'entre nous qui n'ont pas encore perdu leur curiosité, tout n'est pas perdu.

Are you experienced? Have you ever been experienced? Well, I have.

Es-tu expérimenté ? As-tu déjà été expérimenté ? Et bien, moi oui.

L'expérience, c'est celle d'une sensation. La méthode, c'est s'y rendre sensible. Elle tient en un seul mot : relax ! Mais c'est un peu court. Alors essayons : relax ! mais attention ! Au fil d'une journée, il arrive que le corps vibre, ou chauffe, ou qu'il se couvre ici et là de sensations électriques, ou hydrauliques, sismiques peut-être. On n'y prête pas attention, on se frotte le bras ou le nez sans y penser, ça passe immédiatement. Parfois, c'est une émotion. Une excitation sexuelle, de l'amour, une profonde sensation de paix… Elle pourrait aussi bien être négative, bien sûr. Elle n'est pas dirigée, mais si on cherche à la localiser, on y arrive sans problème. Au périnée, au plexus, au ventre, … Apparemment c'est une expérience mobile dans le corps. Prêtez-y attention.

Rapidement, la sensation englobe tout le corps. Chaque jour sans elle est comme « se sentir nu sur la banquise et se demander pourquoi on a froid. » C'est pourquoi on la cultive. Mais comment ? Sûrement, il ne suffit pas de prêter attention aux petites bizarreries aléatoires du corps ? Je dirais que si, et qu'elles deviennent de moins en moins aléatoires à mesure qu'on y prête attention justement. C'est là la méthode. Toute la méthode. Prêter attention aux choses, les remarquer, les goûter. Les apprécier.

Quand même. Si c'est si simple, pourquoi personne ne l'a remarqué ? Certains l'ont remarqué, mais n'ont été que peu écoutés. Parce que c'est simple justement. Trop simple. Et gratuit. Mais aussi parce qu'il faut être suffisamment détendu pour y prêter attention, et suffisamment patient pour la cultiver.

Et puis il faut le dire. Nous aimons les structures. Nous aimons les idées. Nous aimons nous tordre autour d'une opinion. Quand on frappe, c'est la force du coup que l'on aime sentir. C'est se frapper soi-même finalement. C'est drôle, parce que la frappe puissante est relâchée, elle, et celui qui frappe ainsi ne sent presque rien. « Frappe tel que tu marches. » Celui qui est tendu se tend plus fort pour sentir son corps et retenir la vie qui lui échappe. Celui qui est détendu n'a pas ce besoin : « il sent la vie qui se bat dans son cœur. »

All structure is fear.

Toute structure est de la peur.

Ainsi nous devons tout de même en passer par là. Ces formes dont nous n'avons que faire. Ces structures qui nous entravent. Alors au moins faisons le bien.

Toute forme, toute technique que nous pratiquerons devra susciter le relâchement. Et au sein de cette forme, nous devrons chercher encore plus de relâchement. Car nous sommes perclus de tensions mon ami. Tordus de trop de structure. La forme doit être vide pour pouvoir se remplir.

Expérience : maintenez vos mains face à face, qu'elles soient détendues sans être molles, ouvertes sans être dures. La forme d'une main ouverte sans la tension. La distance est de 2 mains de large. Sentez que quelque chose existe entre vos mains qui les relie. Compressez là et sentez sa pression qui augmente. Décompressez et sentez sa pression qui diminue, sentez même une aspiration entre vos mains. C'est l'une des myriades de formes de ce que l'on appelle le Ki. Ici c'est l'expérience de la boule de Ki. C'est un phénomène très connu.

Si vous savez déjà que c'est psychologique, simple résultat de suggestions malhonnêtes, félicitations : vous êtes intelligents. Vous avez maintenant la preuve de ce que je disais plus haut : c'est à peine divertissant, tout juste un délire. Vous pouvez arrêter de lire, au revoir.

Si vous vous demandez ce que c'est, félicitation vous êtes curieux. Mais franchement on s'en fiche. Ce qui compte, c'est que quelque chose existe que l'on peut sentir, expérimenter.

Expérience : maintenez un bras tendu, sans force, sans intention de résister. Demandez à un autre singe curieux de le plier. Si vous avez respecté la consigne, il n'aura aucun problème à y arriver. Maintenant maintenez-le tendu, sans force, sans intention de résister. Et sentez que quelque chose s'écoule par votre bras, à travers vos mains, au-delà de vos doigts. Comme si votre bras était un tuyau d'arrosage. Demandez à votre ami curieux de plier votre bras. Il aura maintenant beaucoup plus de mal. C'est aussi l'une des myriades de forme de ce que l'on appelle le Ki. Ici c'est le test du bras impliable. C'est également un test très connu.

Le Ki est quelque chose d'immédiat. Immédiatement expérimentable. Immédiatement sensible. Immédiatement opérant. On n'a pas besoin d'aller plus loin. Mais pour les curieux, on peut aller beaucoup plus loin.

La vie pour elle-même, l'art pour l'art. D'accord, pour le plaisir aussi. Et par curiosité. J'avais prévenu : vanité et futilité. L'art ne réside pas dans les formes/exercices. Il réside dans ce processus tout simple qui consiste à être attentif à cette chose quasiment physique, colocalisée avec le corps, mais distincte de lui. Car on ne peut développer ce qu'on ne peut sentir.

On dit que, pour méditer, il faut s'asseoir à genoux, les fesses posées sur les talons, le dos droit mais pas tendu, le nez aligné au nombril, et ne pas penser. Tant de structure ! Quand on dit que dans la méditation, le dos doit être droit, le nez aligné au nombril, etc., c'est vrai. Mais ça ne signifie pas qu'il faille le faire volontairement, ce serait induire de la tension. Il suffit de prendre conscience du ventre, garder le point central, et doucement tout se met en place. Lorsque le dos s'est mis droit, tout seul, la posture est juste. Et quand on dit qu'il ne faut pas penser, on induit de la tension également. En réalité c'est lorsque la pensée est stable qu'on sait que la méditation opère. En attendant, l'exercice consiste à remarquer lorsque la pensée dérive, puis à remarquer que ce simple fait la recentre.

La dérive n'est pas un échec. C'est le moteur de l'exercice. Et si vous ne pouvez tenir la posture, c'est le même processus. La tension n'est pas un échec. Il suffit de la repérer, et de la laisser aller. Nous sommes en réalité beaucoup plus souples qu'on ne le croit, mais on peut avoir du mal à relâcher les muscles. Le simple relâchement de ces muscles est suffisant. Après on peut s'intéresser à la souplesse si on veut, mais c'est absolument inutile pour tout le contenu de cet ouvrage.

Le « travail » consiste à supprimer la force, la tension, la volonté, les entraves à la sensation de ce qui est déjà là mais qu'on ne sent pas. Ce n'est pas une chose à faire pour obtenir une nouvelle chose à avoir. C'est enlever pour découvrir ce qui est déjà là, mais empêché d'agir. C'est faire de la place pour que quelque chose s'y installe.

It's a kind of magic!

C'est une sorte de magie !

Une énergie, une myriade de phénomènes. Toute tentative de classification serait réductrice. Et pourtant les mots que nous utilisons, la culture que nous développons, le procédé narratif auquel nous adhérons, sont autant de dispositifs qui syntonisent notre sensibilité sur une fréquence ou bien une autre. Bien choisis ils nous permettent alors de distinguer tels ou tels aspects de la réalité en ignorant tout le reste. Mal choisis ils nous confondent, nous engluent dans un labyrinthe d'idées.

Représentations adéquates pour un contexte donnée. C'est tout ce que nous pouvons espérer de la vérité.

Le langage est une tragédie grecque. Nécessaire pour penser le réel, il nous le masque. Il est comme le corps. Si on le relâche, si on accepte ces vérités fondamentales que « s'il est complet il ne saurait être cohérent, » et que « s'il est cohérent, il ne saurait être complet, » alors on est libre.

Pensée/phénomène au delà
Des méthodes et des mots.

Harmoniques du Qi.

Choisissez une forme, et videz la. Choisissez une forme qui facilite le relâchement. Mais choisissez-là de sorte qu'elle ne soit pas trop facile. Qu'elle vous maintienne sur vos gardes. La forme que vous allez choisir va conditionner votre expérience.

En japonais le mot kata a 3 graphies. 方 signifie façon, manière, orientation, voire une personne en style soutenu. 形 signifie forme, tracer avec le pinceau une ressemblance exacte. 型 signifie moule, forme originale faite en terre. Selon le contexte, kata désigne donc le modèle, l'exercice et le résultat. Le résultat c'est la personne qui pratique, qui a pratiqué. Ses manières, sa façon. À la fin, c'est tout ce qu'il reste. Pas les techniques, pas la sueur, la personne.

Le mot japonais do (ou tao, 道) est comme le mot sanskrit dharma (धर्म). Il a ce double sens d'enseignement et de chemin. Il est un peu comme kata.

Je ne sais pas quel kata ce tao fera de vous, ni de moi. « Le dit qui peut être dit n'est pas le dit. » Je sais juste que ce kata là m'intéresse. Je sais qu'il peut vous intéresser. Choisissez une forme et videz-là. Qu'elle ne soit qu'un cadre. Une forme sans contenu. Elle saura se remplir d'elle même. Wu-wei, non-agir qui est la voie.

L'action en creux de la non-action. Poser sa main et écouter, c'est agir en creux. En laissant parler le corps touché. L'attention à ce qui se dit, ce n'est pas neutre vis-à-vis de ce qui dit. Voilà le premier fondement de l'art.

道可道非常道。
名可名非常名。
无名天地之始;
有名万物之母。
故常无欲,以观其妙;
常有欲,以观其侥。
此两者,同出而异名,
同谓之玄,玄之又玄,
众妙之门。

Le dit qui peut être dit n'est pas le dit.
Le nom qui peut être nommé n'est pas le nom.
Sans nom : origine du ciel et de la terre ;
avec un nom : matrice des dix mille choses.
Alors souvent j'enlève ma volonté pour observer cette merveille ;
souvent ma volonté me montre la limite.
Dualité : coproduite, codistinguée.
L'un implique l'autre dans son mystère, quel mystère.
La porte d'une multitude de merveilles.

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