Portal (5)

Par Morgan Le Mat, le .

G. et moi suivons des méthodes si opposées qu'il est possible de les confondre. On pourrait dire qu'elles sont radicalement contraires selon un principe commun.

La voie de G. est au plus profond un yoga. Un joug. Une pure discipline. Par le contrôle des plus petites actions du corps il coordonne sa relaxation pour produire le mouvement et la puissance. Par ce biais il parvient à faire émerger cette sensation si particulière qu'on appelle faute de mieux « énergie » et que je reconnais comme le mouvement de mon ectoplasme à travers mon corps. Cette sensation est si claire qu'il ne fait aucun doute que lorsque G. et moi en parlons, nous parlons d'une et même chose. Dans la méthode de G. l'émergence de cette sensation est vue comme une validation de la correction du travail. Le signe que la voie suivie est la bonne.

Ma voie démarre exactement de la même manière. Par un travail de relaxation du corps dans les postures dynamiques du taichi ou du qigong je fais émerger cette sensation si particulière. Et à ce moment précis : je place mon attention sur elle, la sensation, mon ectoplasme. Alors je la fais bouger, je l'augmente ou l'atténue, je la malaxe. Quand elle s'améliore je sais que mon mouvement est plus fin, plus précis. Que ma puissance devient plus grande. Au lieu d'être une cause, le yoga devient une conséquence. De l'extérieur nos méthodes sont parfaitement indistinguables.

Le risque avec la méthode de G. est de ne jamais rencontrer la sensation du qi. Seule une écoute attentive du corps permet de mitiger cet effet. Sans cela le kata focalise les tensions au lieu de les relâcher. C'est pourquoi le kata est choisi de sorte à susciter le relâchement. Quoi qu'il arrive le corps en sort amélioré.

Avec ma méthode, le risque est de se perdre dans la sensation du qi. De s'y complaire au point d'oublier le monde extérieur. Alors la sensation se dissout, faute de substrat. C'est pourquoi le kata est choisi pour n'être pas trop simple, qu'il nous maintienne sur nos gardes. Il est pratiqué les yeux ouverts, aussi. Ainsi il est fondamental de rester au monde, de garder le contrôle sur la matière.

Le contrôle : c'est à dire intégrer la matière et le soi pleinement dans la boucle de rétroaction.

Alors la technique change de nature. On dit qu'elle devient interne. Non pas que soudainement ce ne soient plus mes muscles qui fasse bouger mon corps, non. Mais ce ne sont plus mes muscles qui sont l'objet de mon contrôle. C'est la sensation. Le sens de ce qui se passe. Le mouvement redevient involontaire, pure expression d'un ordre supérieur. Alors je commence à comprendre les discours absurdes des grands maîtres. Passerais-je enfin le seuil de ce portail ? L'ai-je déjà passé ?